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Hafid Melhay

La chance 

J’ai eu la chance d’être outillé pour rêver ma vie. J’ai l’ai rêvée et j’ai osé. Ça a été avec pas mal de difficultés mais comme je suis un acharné, jamais je ne lâche prise. Je vis mes rêves. Le travail que je fais actuellement, je l’ai imaginé et je me suis donné les moyens. 

J’ai dû naviguer à contre-courant mais en fin de compte ça l’a fait. 

L’héritage 

En fait, je me sens partout chez moi. Mes racines c’est partout, c’est l’humain. J’ai eu un héritage par mes parents. Je vis. Ma vie s’est passée sur deux mondes différents, deux continents différents. En deux temps. Dans un premier temps, je suis né de l’autre côté de la Méditerranée, dans un monde où j’étais promis à une vie agréable dans le monde du livre. J’ai intégré très gamin, très jeune, l’école coranique aidé par mes parents qui ont évolué dans ce monde. En fait, mon père a joué vraiment un rôle central et, au-delà de lui, le monde dans lequel il évoluait. Mon père a eu une enfance un peu difficile dans le sens où il était promis à un avenir de lettré et il va se retrouver ouvrier. Il va intégrer l’école coranique. Il va apprendre le Coran par cœur et, au moment d’intégrer la faculté Al Quaraouiyine de Fès, ce n’est pas possible. Il va devoir sa vie et il va se retrouver dans les mines de Jerada. Il travaille dans le charbon.

Dans les années 1970, il y a une période de sécheresse dans l’Est marocain. C’est la région qui a donné le plus d’immigrés. C’est comme ça qu’il va se retrouver dans le Nord. Une fois installé, il va nous faire venir. C’est le monde où il a grandi au pays, les gens qui l’entouraient, mes aïeux et au-delà le village d’où il vient. Nous venons d’un village entouré de montagnes et nous avons eu la chance que les terres autour de nous ne soient pas cultivables. Donc, les gens étaient soit pasteurs et gardaient les chèvres, soit ils allaient à l’école coranique. Soit berger, soit lettré. Beaucoup sont les deux. D’ailleurs, gamin, j’ai fait le berger. 

Mais, ce mode de vie a très vite changé du fait d’être venu ici, en France. En fait, je suis venu avec mon père qui, lui nous a fait venir ici. Je me suis retrouvé dans un autre monde dans lequel je n’avais pas « les codes » entre guillemets. Il a fallu les réapprendre, construire une nouvelle vie. Quand je parle de chance, c’est cette première vie où j’étais élevé dans un monde du verbe. C’est bien plus tard que je vais me rendre compte de cette chance. Dans un premier temps, il y a eu une période de déséquilibre où il a fallu trouver des points de repère. Une fois trouvés, c’est à ce moment-là je me suis retrouvé. C’est cette capacité à rêver sa vie, de croire à ses rêves et se donner les moyens de les réaliser. 

Le livre 

Je grandis dans un monde du livre. Je suis comme un poisson dans l’eau. J’arrive en France, je ne parle pas français et, du coup, le livre va jouer un rôle central. Pour m’outiller, les enseignants qu’il y a autour de moi me conseillent de lire. Je vais commencer à lire et dans un premier temps je ne comprends pas ce que je lis. Je continue à lire quand même. On me dit de continuer à lire et je continue à lire. En fin de compte, c’est cette bouée de sauvetage qui va me permettre de retrouver mes repères. Je vais lui rendre hommage. Je vais la partager avec les autres. C’est comme ça que je finis pas travailler dans le monde du livre. 

Le chemin

C’est comme une espèce de prise de conscience, c’est comme un cheminement. Ça a toujours été au fond de moi. Mais … ce travail c’est comme quelque chose qui est pas visible, qui est là mais qu’on ne voit pas. Au fil du temps, des années, des lectures, des rencontres, les choses s’éclairent de plus en plus. Le cheminement, le chemin, il est là et c’est toujours un plaisir. Moi, je me réveille avec le sourire et ça fait des années que je ne mets plus de réveil. C’est incroyable, ça me rapproche des autres. J’ai un autre regard sur les autres. Je réalise un peu l’état dans lequel j’étais et au fil du temps comment ça évolue et je me dis : « plus le chemin s’éclaire, plus que je me sens apaisé, à l’aise et plus j’ai l’impression que le monde est à l’aise autour de moi. » 

Le métier 

C’est la Cabane de tous. Ça se veut une librairie de quartier. C’est ouvert à tout le monde. Ça, c’est important. C’est un lieu où tout le monde, du moins ceux du quartier, puis les visiteurs du quartier aussi, trouvent leur compte. Les livres que je mets sur les étals de la boutique sont les livres que j’aime et donc c’est des choses que je partage. Quand je conseille un livre, j’essaye de voir si la personne est susceptible ou réceptive, de voir le profil de la personne et lui proposer un libre qui lui correspondrait, tout en étant dans le registre de ce qu’on aime. Proposer une lecture c’est être loin de l’esprit boutiquier. C’est un partage, c’est une expérience, c’est juste un sillon ouvert. Il faut que chacun continue le sien. 

Les histoires 

Pour moi, la lecture c’est cette activité réparatrice qui permet de découvrir les histoires et les mythes. Moi, ce qui m’intéresse dans le livre c’est l’histoire ; les histoires dans le sens de « contes », les mythes. Nous sommes, nous autres humains, tous, tout autant qu’on est. Chacun a son histoire et notre Histoire, elle, est commune. 

Le Coran c’est des histoires. Il y a un verset que j’aime beaucoup c’est : « nous allons vous conter les meilleures histoires ». Quand je lis l’histoire de Joseph, c’est incroyable cette histoire, l’histoire de cet artisan sculpteur dont parle Erri de Luca dans La nature exposée.  On est dans le même monde, dans le monde des histoires, des mythes qui nous construisent tous. Ça se situe à ce niveau-là. Alors, un livre il faut qu’il raconte une histoire qui est tournée vers les autres et qui ouvre en même temps ; qu’il ait une musique, une musicalité ; que ce soit un plaisir pour l’oreille, pour le cœur, pour l’ouverture vers les autres. C’est toutes ces choses-là réunies dans un livre. Il y a des livres avec lesquels on fait un chemin et d’autres non, ça s’arrête. 

Mektoub 

L’histoire du Mektoub c’est un peu cette histoire des évènements qui nous arrivent dans la vie et qui nous dépassent. On n’a pas tous les tenants et tous les aboutissants. Rien n’est au hasard. Il y a des choses qui sont là mais qui sont écrites de par notre histoire, de par notre personnalité, de par notre héritage et ce qu’on en fait. Pour moi, le Mektoub se situe à ce niveau-là. On peut gérer son Mektoub, on peut l’influencer par la qualité de vie que l’on se donne au quotidien. 

L’écriture 

J’écris mon histoire au quotidien, du moins pour moi. Il y a de l’écriture mais différemment. Elle est là, elle est dans la vie quotidienne. Elle s’inscrit dans ce qui se passe au quotidien, dans les interactions avec le monde dans lequel j’évolue. Mon histoire, elle est écrite. Elle est écrite avec les enfants que j’ai connus, qui sont venus. Elle est écrite dans leurs esprits et dans le mien. 

Le monde est à plusieurs niveaux. Il y a le visible, l’invisible et il y a cette écriture. L’écriture du vivre ensemble. C’est une écriture aussi. 

 

Les enfants 

Autrefois, plus jeune, je me disais : « j’aurai des enfants, mais je vait attendre d’être un peu mature pour avoir des enfants », parce que je considérais que j’étais pas outillé pour leur offrir une vie comme je voudrais qu’ils aient ou que j’avais peut-être une conscience pas assez éclairée. Bref, je pensais qu’il fallait être outillé. Au fil du temps, ça n’a pas eu lieu et, avec le recul, je me dis : « si ça n’a pas eu lieu, c’est que j’avais autre chose à faire ». Ils auraient été là, ils auraient été les bienvenus. Ils ne sont pas là. Il y a plein d’autres enfants autour de moi et puis, le plus important, c’est d’être en accord avec soi. 

Il m’est arrivé un truc incroyable. J’ai ouvert cette boutique, la librairie, et parfois, je suis comme ça vers 4-5 heurs, à la sortie des écoles, et je vois des mamans ou des papas passer avec des enfants et, tout d’un coup, le gamin tire sa main et il rentre en courant dans la librairie. C’est un super cadeau. Ils peuvent tous aller se rhabiller. 

La trace 

Je ne suis pas dans la trace, je suis dans l’instantané. Je vis ici et maintenant. En fait, je ne me vous pas laisser de traces. Moi, ma vie, elle se passe ici et ceux qui se rappellent ce que j’ai vécu avec eux, c’est ceux du monde dans lequel j’évolue. On vit ensemble, maintenant, ici. Demain est un autre jour. 

La rencontre 

Les meilleurs moments c’est quand il y a une espèce de fébrilité ou un manque de confiance en soi, ça permet d’aller voir au plus près. Il y a une espèce de sentiment de fébrilité où on est pas sûr de soi. En général, ça permet d’entrevoir des choses qui ont échappées, d’être humble pour organiser la rencontre. En général, ça se passe vraiment bien. Quand je vis ce moment, humble, et qu’il se passe des belles choses dans la rencontre, c’est la réussite. Après une journée comme ça, je dors huit heures d’affilées. 

La joie

En fait, quand il arrive des choses qui ne vont pas, c’est une leçon, c’est une prise de conscience parce que je suis persuadé que les choses nous dépassent. Moi, je vis ce qui m’incombe. Non, il n’y a pas de journée pourrie, tout est construction. Tout moment, toute difficulté, permet de se construire et c’est rater ce moment de pouvoir transformer ce qui peut arriver en joie. C’est juste passer à côté. Je le dis maintenant avec quelques années de vie. 

Autrefois, peu de choses me chagrinaient mais il n’en est plus question. Je profite de toutes situations incongrues ou une difficulté quelconque pour voir ce qui pourrait me faire avancer. Avancer, ne pas perdre mon temps, que ma vie ne soit pas un moyen mais … une vie, la vivre complètement. 

Pour moi, il est facile d’être en joie tout seul. Mais, c’est quand on est dans le partage qu’on est dans la vie. Et là, la joie a toute sa place. 

 

La nature 

La nature, c’est incroyable. Ça se régénère. Écouter le silence, écouter le silence des arbres, écouter les oiseaux, écouter ce qui nous entoure, respirer la majesté d’une montagne, vivre la dimension sanctuaire d’une forêt, c’est incroyable. En plus, la nature ce n’est pas comme nous. Elle n’a pas besoin de jouer un rôle, elle est. Les arbres sont. Pouvoir les regarder, les écouter, c’est des moments de quiétudes. C’est juste … régénérant. 

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