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Visite guidée de l’exposition

Bonjour et bienvenue,

 

Nous arrivons sur le site du Chameau à Châteauvillain pour découvrir l’exposition intitulée VOLUPTÉS avec des sentiments mélangés : une grande curiosité et une petite inquiétude. Que signifie ce mot de volupté et comment en parler dans une période marquée par la situation sanitaire mondiale, les dérèglements climatiques et nos incertitudes quant à savoir ce que sera le monde demain?

 

Dès l’approche du lieu d’exposition, baptisé «l’Expédition», pour rappeler aux visiteurs que nous sommes bien dans un ancien site industriel et que ce local servait effectivement à magasiner les bottes «Le Chameau» fabriquées sur le site avant leur expédition dans le monde entier, nous sommes accueilli.e.s par une grande fresque murale.


Cette fresque réalisée par les artistes belges Karin Vyncke et Yoris Van den Houte, reprend les trois couleurs fondamentales du site : l’ocre, en rappel des bâtiments construits en briques, le vert, couleur du parc mais également des portes métalliques des anciens locaux industriels et le bleu du ciel.

 

La fresque est une tentative de représentation d’une cartographie symbolique du monde avec des fragments de peintures rupestres, des évocations de mythes anciens aux significations mystérieuses, des présences humaines, animales et végétales.


La fresque s’offre également :

- comme transition entre les années 2019 et 2020, avec la présence de la sculpture créée en 2019 par l’artiste ivoirien Vanly Tiene,

-  comme transition entre le monde extérieur avec le parcours arboré avec le cortège des 16 espèces d’arbres plantés par Monsieur Chamot, ancien directeur de l’usine, il y a 70 ans et les Divinités Imaginaires imaginées par Pierre Bongiovanni à partir des dessins de Lorberie et les mondes intérieurs des œuvres des artistes présentées dans les deux grands espaces de l’exposition. 

Ces dessins furent d'ailleurs réalisés lors d’un dramatique séjour à l’hôpital où fut admis l’auteur suite à une pathologie fulgurante, douloureuse et handicapante ; le dessin ici représentant le sursaut permettant de surmonter la douleur par une forme de dessin à la fois archaïque et spontané.

- Par là, la fresque fait également transition entre des formes abstraites et figuratives, des propositions artistiques académiques ou résolument expérimentales, des œuvres d’art consensuelles et des œuvres ouvrant à débat ou controverse.


L'exposition est conçue comme un jardin dont les délices sont à la fois offerts et cachés.
Un jardin parsemé de plantes vivaces, plus ou moins délicieuses et comestibles, mais toutes compatibles les unes avec les autres. Comme dans tout vrai jardin, chaque plante y trouve sa place et son utilité.
Certains craignent les orties, d’autre les apprécient. Certains craignent les chardons, d’autres les adorent.
Certains préfèrent les fruits sucrés, d’autres les baies sauvages. Certains préfèrent les tracteurs et d’autres la grelinette. Certains cultivent avec les vers de terre et d’autres avec les pesticides.


Dans le jardin des voluptés chaque plante vit sa vie de plante en concordance avec les autres. Nous y avons conviés des jardinières et jardiniers, des gentils, des rebelles, des naïfs, des féroces, des pudiques, des magiciens...
Toutes et tous ont accepté d’endosser ce rôle dans le contexte si spécial d’une saison marquée par la situation sanitaire et sociale mondiale. Parler des voluptés est donc aussi pour nous une manière de garder la tête haute et de continuer à penser que demain reste une utopie à construire pas à pas, geste par geste, heure après heure, regard après regard, conversation après conversation, controverse après controverse.


Cette exposition propose des pistes, des chemins, des lectures possibles. Ce qui révulsera Anne, enchantera Bérénice. Ce qui troublera Nestor, ravira Anselme. Ce qui sera imaginé par Benoît sera disqualifié par Jérôme. Ainsi de suite et jusqu’à la fin des temps. Nous imaginons des visiteurs conscients que le regard qu’ils portent sur le monde parle plus et mieux d’eux-mêmes que de la réalité du monde.

 

Nos jardinières et jardiniers ne sont ni des juges, ni des moralistes, ni de idéologues : ils tentent de partager leurs visions, leurs espoirs, leurs troubles à un moment de l’histoire du monde où les caricatures, les procès, les bûchers se vendent mieux que l’élégance, la courtoisie et l’altérité.

 

Les visiteurs et les artistes (cette année de 12 à 80 ans), les «experts» que nous avons mandatés pour commenter certaines œuvres, chacune et chacun sont  voluptueusement conviés ici avec le respect dû aux âmes nobles et a priori bien intentionnées.

 

Au moment d’entrer dans l’exposition par une petite porte latérale du bâtiment le visiteur est d’abord surpris et happé par un sentiment paradoxal : le lieu semble presque vide, extrêmement dépouillé, pas de choc visuel spectaculaire mais au contraire une ambiance flottante et bienfaisante renforcée par la composition musicale de Daniel Kapelian, musicien français résidant en Corée du Sud dont les œuvres rendent comptent des univers non-violents prônés par les spiritualités Zen.

Le paradoxe vient du fait que dès l’entrée franchie et alors que le visiteur est saisi par ce vide apparent, apparaissent des univers complexes, colorés, aussi différents les uns des autres que peuvent l’être les constellations visibles dans le ciel les nuits d’été : toutes différentes mais formant une seule et même voûte céleste.

 

Il faut dire que les concepteurs de l’exposition (Yoris Van den Houte pour la scénographie et Pierre Bongiovanni pour le choix des œuvres) ont absolument voulu que la vocation ancienne et industrielle du lieu ne soit jamais masquée : au contraire ils ont cherché à faire en sorte que le visiteur ne perde jamais le contact avec les générations d’ouvriers qui travaillèrent ici tout en découvrant des visions artistiques d’aujourd’hui. Des femmes et des hommes vécurent ici, pour y souffrir ou s’y révéler, avant que, par la création artistique et provisoirement, d’autres sensibilités, d’autres souffrances, d’autres fulgurances viennent s’y poser. 

 

Au plafond on pourra s’attarder à méditer sur quelques sentences issues des sagesses universelles.
Le visiteur s'étonnera peu-être d'un premier étage inaccessible : c'est qu'il est devenu un lieu de stockage des surplus de notre ami le brocanteur Janot Bogdan, qui n'hésite jamais à nous fournir le mobilier dont nous aurions besoin.
L'agencement des coffres, toiles peintes et autres objets, visibles depuis le rez-de-Chaussée, est agencé de manière a rappeler la vocation ancienne de ce lieu de stockage.

Dès l’entrée, les peintures d’Esther Wollheim (02) célèbrent la volupté du geste de peindre avec des évocations gourmandes des formes et couleurs de la nature, ou encore avec des représentations plus sombres de nos fantômes intérieurs. Née en 1956 cette artiste partage son temps entre le Bade-Wurtemberg en Allemagne et la Haute-Marne où ses œuvres sont présentées ici pour la première fois.

 

Très vite l’attention du visiteur est attirée par les curieuses «installations» de Rémi Caritey (03) :

Intitulées «Aberrations végétales et viatiques». Photographe, écrivain, forestier, arbre peut-être, ou poète, barde, bringueur s’il le faut, râleur ou malappris, pilote, père de famille, acrobate, guérisseur, mélomane, maçon, DJ, cordiste, le tout avec une once d’art et une entière sincérité, Rémi Caritey est un homme du présent.

Sous le titre «Aberrations végétales», on découvre une série de photographies de graines d’érable qui sont normalement formées de 2 ailes soudées (samares). En 2019, lors de la cueillette, apparait une troisième aile, avortée du fait de la sécheresse et de la canicule qui ont eu raison de la symétrie pour donner une mutation génétique.

«Viatiques», composée d’une série de sacs transparents emplis de graines de Charme commun (Carpinus betulus). Une récolte à l’automne 2019, en Forêt Domaniale d’Arc-Châteauvillain, au pourtour de la réserve intégrale du Parc National de Forêt. Plus de vingt bosquets en devenir sont ensachés ici, pour témoigner de la gratuité et de la prodigalité des forêts. Viatiques pour la traversée des déserts que nous promet notre modernité dévoyée. 

 

Un peu plus loin, sur la gauche, nous découvrons les dessins de Julia Mugnier Blanchard (05) qui vit et travaille à Chaumont. Elle dit qu’elle dessine comme elle écrit, dans de petits carnets, une habitude familière depuis son enfance qu’elle aime à retrouver après de longues pauses suivant les événements de la vie ou d’autres projets comme le théâtre, la musique et les performances. Sur des papiers de format très modeste et qui ne prennent pas de place, elle dépose des traces de couleurs sur des surfaces vides. Ce qui l’intéresse c’est que quelque chose apparaisse et à travers ces formes, que quelque chose semble être écrit mais jamais déchiffré, comme une série de non-dits. Elle veut juste en garder la trace et l’énergie, les lignes, les points d’épaisseurs différentes remplacent les mots à la consistance fine ou plus épaisse. Son œuvre dessinée évoque avec une sérénité crispée (expression de René Char) les paysages champêtres mais également la solitude, la difficulté de communiquer son mystère, l’étrangeté de notre condition de vivant dans une époque bouleversante. Mais le monde fut-il un jour autrement que bouleversant ?
Question sans importance semble-t-elle dire, alors elle poursuit son exploration picturale en dehors de tout souci de faire «beau» ou d’exprimer une «idée claire». Le résultat est là : magnifique et obsédant comme ces images qui surgissent parfois dans nos rêveries de sieste et qui nous semblent à la fois incompréhensibles et familières.

 

A la suite vient une série de peintures de Jean-Charles Louot.(08)
Après avoir exercé son métier de médecin de campagne à Arc-en-Barrois, Jean-Charles Louot se consacre à la peinture, qu’il pratique avec bonheur, en expérimentant en toute liberté les univers des formes et des couleurs.

Sont présentées ici les œuvres que nous avions découvertes cette année dans la galerie de la librairie Apostrophes de Chaumont et qui nous avaient convaincus de l’immense talent de cet homme discret, secret, profond.
Cette série «d’ombres cachées» évoque les caprices des ombres nées du déplacement de la lumière du soleil sur une feuille de papier. Ces ombres signalent la présence d’un objet caché dont nous ne savons rien. Rendre compte par le dessin et la peinture de ce qui advient en dehors de la volonté humaine et qui n’a pas de mots pour se dire : voilà tout le dérisoire et pourtant l’essentiel de l’entreprise artistique...

Progressant dans la salle le visiteur comprend alors que le sentiment de dépouillement et de vide qu’il pouvait ressentir à l’entrée fait place progressivement à la perception de mondes complexes qui s’ajoutent les uns aux autres, pour se compléter ou se contredire.

 

Nous arrivons ensuite à l'entrée de la première salle (réservée aux adultes) dédiée aux oeuvres de Jean-Pierre Sergent (16) nous y reviendrons plus loin en évoquant la grande fresque installée dans la salle blanche, le visiteur découvre les dernières tapisseries de Béatrice Chanfrault (04), artiste singulière, en errance perpétuelle entre deux villes, deux villages, deux vies, deux œuvres. Elle tisse sa toile dans des lieux de Haute-Marne tout en ressentant toujours le besoin de s’installer ailleurs, d’investir de nouveaux lieux de vie, d’engager de nouveaux projets. Jamais vraiment là, jamais vraiment très loin. Les fils se tendent et tracent sa vie. Tout est relié, noué, cousu, raccommodé. Du fil rouge, noir, blanc. De fils d’or qui semblent, la aussi vouloir nous donner accès à des récits épiques dont le sens s’est totalement perdu. Dans son film «La Honte», le cinéaste suédois Ingmar Bergman, fait dire à l’un de ses personnages : je me souviens que je dois me souvenir de quelque chose, mais j’ai oublié quoi. C’est ce manque, cette amnésie, ce souvenir oublié que Béatrice Chanfrault traque sans jamais pouvoir l’élucider.

 

Se retournant sur le trajet déjà parcouru le visiteur aperçoit alors que de nouveaux chemins s’ouvrent à lui, avec tout d’abord les univers oniriques de Eric Roux-Fontaine (12).
il se trouve que l’ensemble de ses peintures étant actuellement présentées à New York, l’artiste nous a permis de reproduire deux de ses œuvres. Nous perdons là évidemment la puissance de la peinture réelle mais nous voulions rendre hommage, par la présence de ces deux reproductions à une peinture perméable aux mondes des songes, de l’initiation chamanique, des spiritualités amérindiennes, des frayeurs enfantines ou des champignons hallucinogènes. Pourtant, s’il s’agit bien de cela, les mondes qu’il représente sont généralement exempts de sauvagerie, de violence, d’outrances, de tourments insurmontables, de tribuns fatigués ou de foules hystériques. Sa rêverie ouvre les portes des cités englouties, des forêts rebelles, des nomades circassiens, des animaux mutants. Sans doute a-t-il réussi à apprivoiser ses propres frayeurs. Peut-être même n’a-t-il plus peur de rien. Peut-être converse-t-il plus posément avec les mousses, les lichens, les souches, les insectes, les sentiers, les rocailles, les cours d’eau, les bois morts, les éboulis, les bulbes, les frondaisons humides, le cosmos en somme, qu’avec les autres humains. Ou bien seulement avec les plus perchés d’entre eux. Sa manière de peindre, sa fièvre peut-être, évoque les «avalanchées» hugoliennes mais également les trésors d’Ovide dans les Métamorphoses : Il embrasse le bois, mais le bois se refuse. Lors, dit le dieu, si tu ne peux être ma femme, sois mon arbre, laurier, et pare à tout jamais ma chevelure et mes carquois et mes cithares !

Les mondes qu’il imagine sont cristallins, fragiles, friables, incertains, vulnérables.

Mais il ne reste plus grand chose à détruire. Ce «pas grand chose» est encore trop grand car il n’y a plus assez d’émeutiers déterminés pour le détruire tout entier. 

 

Face à ces deux reproductions se trouvent les trois vitrines des faunes de Freid (20).
Freid, personnage totalement atypique vit dans un ermitage, où elle pratique le Zen Soto. Elle a été ordonnée nonne par Mokusho sensei. Céramiste alchimiste et Tenzo, elle laisse advenir les parfums, les saveurs les couleurs et les formes à partir des plus humbles matériaux. Sa volupté est contemplative, ses créations sont des expériences uniques.

Elle dit que les Faunes, dryades et nymphes oubliés visitent souvent son jardin et que ces furtifs Kamis se posent le temps d’un modelage, afin qu’il nous souvienne que nos rives, nos forêts et nos bois murmurent, chantonnent, grinçouillent et sourient de leur présence. Bienveillants, inquiétants, immatériels et cependant précieux, leurs bustes en grès cuits à 1200°C sont rehaussés d’argiles et de cires. Elle aime les poser entre quelques plantes, pour les apercevoir soudain au détour d’un massif, comme on retrouve un ami à la croisée des chemins.

 

Toute œuvre est le résultat d’un pensée. L’artiste est un auteur qui cherche un chemin pour nous dire quelque chose.
Mais le visiteur est aussi un auteur : chacun d’entre nous est l’auteur du regard qu’il porte sur le monde comme sur les œuvres qui sont exposées. Entre ces deux auteurs, et lorsque tout va bien, peut alors se nouer une conversation. Une conversation intime, secrète, opaque aux autres. Il peut se faire que cette conversation soit heureuse. Ou pas. Il peut se faire que des affinités se révèlent, que des émotions, des rejets, des incompréhensions se manifestent. Il peut se faire que des éblouissements, des ruptures, des révoltes, des tremblements, des fous rires adviennent. Chaque conversation est à la fois unique, universelle, fondamentale. Elle est un fragment de vie qui rend possible la vie en communauté. Elle est ce par quoi l’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art comme disait l’artiste Robert Fillioux.

Le visiteur s’avançant dans l’espace plonge littéralement ensuite dans le jardin des aquarelles de Emy David (07) avec la série «Détache-toi de toi-même»

Emy David, vit et travaille en Haute-Marne. Elle mène avec passion ses deux activités professionnelles, celle de plasticienne et celle de maraîchère. Volupté, rêve, désir. Comment se jeter dans la volupté des rêves ? Comment lâcher prise dans le processus de création ?

Ces 66 aquarelles expriment le langage universel de la volupté des rêves. Elles invitent à découvrir cette promenade nocturne poétique et intime faite de silhouettes de végétaux délicatement détourées et agencées. Soyez libre de voyager, traverser, explorer, inventer en chacune d’elles et, dans l’ensemble d’elles-mêmes, sentez les désirs obsessionnels, les rêveries secrètes, les fantasmes émotionnels, les histoires qu’elles racontent. Les rêves viennent d’un lieu, quelque part, qui existe vraiment. Il fallait à cette jeune femme artiste, maraîchère, entrepreneuse un sacré cran, talent et courage pour se lancer, dès l’annonce du thème des Voluptés dans la réalisation de cette saga sensible et colorée dédiée au désir, au plaisir, à la beauté des natures et des sens.

L’artiste est aussi cela : celle, celui, qui prend le risque d’aller au plus profond de lui pour tenter de partager ses émotions et les mystères avec nous. Chacun d’entre nous devrait pouvoir trouver en lui même le désir et la force de reconnaitre, de saluer, de respecter ce risque, car il est là aussi pour éclairer et consoler nos propres parts d’ombres.  

Se retournant, tout en essayant de retrouver son souffle, le visiteur aperçoit les paysages suspendus de Christine Delbecq (15).
Cela pourrait représenter des glaciers en perdition sous l’effet du réchauffement climatique, les danses telluriques de la tectonique des plaques lors des tremblements de terre, des coupes horizontales effectuées dans les nuages pour en percer le secret sous la lunette d’un microscope dantesque, ou toute autre chose, qu’importe. Nous sommes devant une sculpture c’est-à dire devant une forme, un espace-temps, une pensée en mouvement.
Christine Delbecq vit et travaille à Dijon. De son travail elle dit : Il y a les matrices. C’est toujours de l’immense. Et toujours du pullulement. Ou alors un extrême isolement. Parfois ce sont des blocs de carton évidés. Parfois une bâche de plastique suspendue. Dedans il y a cent cartons, ou un, ou deux. Depuis des mois je vis avec une étendue verte et blanche, finalement je l’ai suspendue avec des filins. Les matrices agissent comme ma base. Je m’approche, m’éloigne. D’ailleurs je marche, autour des installations et dehors bien sûr. Juste pour marcher. Ce rythme lent et répétitif que je retrouve dans le crayon et dans mes gestes de travail : agrafer, déchirer, percer, encoller.. Et puis je photographie, j’extrais, je rassemble, ça fait des paysages de temps. Et je dessine. Je dessine en tout petit et puis ça grandit. Lorsque ce qu’on ne voyait presque pas en vient à s’épanouir sur le mur, je me réjouis. Parfois je me rapproche tant que ça devient flou, et je perds le sujet, et moi. Je travaille par transformations. Partir de presque rien et s’en aller loin. Je construis par accumulations et soustractions. De gestes et de matériaux très simples.

 

A l’aplomb de cette sculpture, le visiteur va découvrir trois autres mondes féminins. Celui de Sandrine Mulas (11), d’Alice Marc (09) et de Gala (14).
Sandrine Mulas (11) et ses mondes bleus réalisés à l’occasion du confinement.
Elle dit toi, l’être humain qui visite ces lieux, regarde cette série, elle parle de toi, de nous, de l’être humain sous toutes ses convictions : «l’humain sous la peau». Par ces trois cœurs cousus, abîmés puis réparés, chacun représentant une variante humaine : le corps : L’humain sous la peau, L'humain qui bât et se bât contre lui même; L'humain qui s’impose le silence de ses émotions. Et puis l’âme : 8 lunes pour la condition de l’âme humaine prise entre son côté sombre (l’instinct, la passion non maîtrisée) et son côté lumineux (sa réflexion et sa logique). Elles sont attachées pour ne pas se perdre.
En fait ces deux séries ne représentent qu’une petite partie d’une fresque imposante qui en comporte en réalité cinq et qui feront prochainement l’objet d’une publication spécifique.
Cet ensemble est un chemin, au sens où un chemin peut aussi être un calvaire qui ouvre, par l’amour, la possibilité d’une rédemption. 

Sandrine Mulas, originaire de Haute-Marne est photographe professionnelle à Paris où elle vit et travaille. Son œuvre plastique et poétique actuelle est significative de la manière dont la période actuelle bouleverse, au sens le plus fort du terme, les êtres les plus sensibles. Ils sont alors comme des éponges qui absorbent sans retenue toute les contradictions et les impasses d’une société à la dérive mais qui ne capitulent jamais devant la nécessité de se redresser, de célébrer les beautés du monde et la puissance d’aimer.

 

Alice Marc (09) avec la série photographique intitulée «Les Jocondes», elle aussi nous ébranle, en allant chercher l’humanité la plus pure qui soi : celle qui consiste à se dédier aux soins apportés à plus faible que soi.

Alice Marc est née en 1968. Elle vit et travaille entre Paris et Auberive (52). Elle se consacre, depuis des années à la photographie, qu’elle pratique dans les milieux professionnels (hôpital) ou associatifs qu’elle traverse. Les Chaumontais ont pu découvrir son travail sur les grilles de la Préfecture de Chaumont à l’occasion de la journée internationale des Droits de la Femme. A propos des Jocondes elle dit : ces femmes sont des héroïnes anonymes. On ne sait rien d’elles. De leurs joies, de leurs tourments. De leurs vies. Le sombre rôde mais leur lumière éclaire le monde. Elles sont les reines de la ruche. Les artistes du soin. Chaque jour, chaque nuit, elles pansent les âmes et les corps blessés. Telles des abeilles, elles veillent leurs pairs avec bienveillance, intelligence. Elles tissent du lien, elles donnent du sens. Elles écoutent, elles regardent, elles accueillent, elles caressent. Elles maternent sans jamais infantiliser. De leur corps, de leur cœur, de tout leur être, de toutes leurs forces, elles enlacent pudiquement les vies épuisées. Naturellement, généreusement, discrètement. Leur beauté céleste brille au firmament. Les larmes ne leur font pas peur. De leurs mains délicates, elles libèrent des humeurs vénéneuses. La douceur de leurs gestes enveloppent les souffrances d’un voile apaisant. La musique de leur voix berce les esprits chagrins. Leurs mots sincères soignent les plaies de l’âme. Leurs sourires clairs consolent les peines grises. Leur joie simple entraîne les souffles minces. Elles nourrissent les jours de disette. De leur sève bienfaisante. De leur miel. Elles sont le Sel de la Terre. Le crépuscule point sournoisement, irrémédiablement. L’angoisse se dilate d’un temps déchiré. L’effroi surgit du néant de la nuit. La mort étreint, la mort éteint. Leur présence tranquille chasse les peurs bleues, apaisent les colères noires. Loyales et fortes, elles soutiennent, accompagnent les vies vacillantes. Elles n’abandonnent pas, mais laissent glisser les fragiles destinées. Elles regardent les vies qui se font et se défont devant elles, humblement, avec respect. Toujours, elles tiennent et se tiennent là, tout près. Stabat Mater.
Frissons.

 

Un autre choc attend ensuite le visiteur avec la série des autoportraits de Gala (14) 

Gala est une jeune fille de 12 ans qui vit à Paris. Elle profite des impératifs du confinement pour entreprendre plusieurs séries de photographies, toutes réalisées avec son smartphone.

Avoir 12 ans n’est ni un avantage, ni un inconvénient : juste un état provisoire de présence au monde. Avoir 12 ans dans un monde devenu globalement instable n’est ni une chance, ni un handicap : juste un contexte, provisoire lui aussi, de ré-agencement des certitudes.

Gala se met en scène dans des situations qu’elle invente et pour lesquelles elle mobilise, comme autant d’assistants, si nécessaire le reste de la famille. Les images qu’elle réalise avec un entrain et un enthousiasme communicatifs, au delà de leurs qualités propres, témoignent d’une capacité prometteuse et joyeuse à investir toutes les potentialités des mondes à venir.

Pour elle, par elle, tout semble possible. Elle fait des images comme elle fait tout le reste : en réunissant toutes les conditions nécessaires à leur émergence.

Elle ne s’engouffre pas dans des dynamiques humanitaires existantes, elle les crée elle-même en mettant en œuvre des collectes de fonds pour soutenir les enfants en souffrance. De la même manière elle ré-agence en permanence les éléments de son univers confiné pour inventer des univers oniriques, avec une décontraction, une gourmandise et un culot tranquille.

A l’époque des gestes barrières elle crée des gestes d’ouverture. Chacune de ses images, de façon imprévisible et totalement intuitive, renvoie loin en arrière dans l’histoire de la représentation tout en invitant à penser loin en avant dans ce qu’il adviendra de nous demain. La stupéfiante maturité dont elle fait preuve ne disqualifie pas l’enfant qu’elle est, mais disqualifie toute tentative d’infantilisation de celles et ceux, comme elle, qui feront le monde de demain. Les adultes d’aujourd’hui feraient bien d’en rabattre sur le terrain de leurs certitudes pour investir massivement et sans vergogne sur le gisement de générosité, de joie et d’engagement que ces enfants incarnent. Les images de Gala se présentent comme des cadeaux surgis d’une Corne d’Abondance magique, et comme tels ils honorent celles et ceux qui les reçoivent. 

 

Avant de s’engouffrer dans la grande salle blanche une halte s’impose dans le petit et sombre réduit qui sépare sur la gauche les deux grands espaces de l’exposition.

Avec «Le crabe-araignée fait sa métamorphose : autoportrait», Gilbert Marcel (10) natif d’Auberive, poursuit avec humour ses recherches autour de l’art cinétique (ou comment formes, couleurs et lumières entremêlées, élargissent nos capacités de perception et de compréhension du monde). Après l’installation monumentale dédiée aux prophéties de Léonard de Vinci, présentée ici en 2019, Gilbert Marcel propose pour Voluptés trois nouvelles sculptures.

De celle-ci, Le crabe-araignée fait sa métamorphose : autoportrait» l’auteur confesse :

Cancre j’étais, enfant et «élève crabe» j’étais. (Cancre vient du mot crabe)

Métaphoriquement, comme le fait le crabe, tout jeune écolier déjà, je marchais de travers, bien loin de la droite ligne des résultats scolaires qui permettent de voir son nom inscrit au tableau d’honneur, et de recevoir les félicitations des professeurs. Bref, j’étais un cancre, et je suis toujours resté au fond de moi-même, un homme crabe. Mais comme dans le célèbre roman de Lewis Carroll, Alice aux pays des merveilles, le jeu de miroirs ici proposé est un véritable point de passage, une porte mystérieuse, vers une confrontation à son propre psychisme, conscient et inconscient, et à son intimité. S’ouvre alors la possibilité de rencontrer son « soi »ou plutôt ses « sois » véritables. Il ouvre à l’introspection, et reflète l’état de notre conscience. Le renvoi de la lumière permet un éclairage nouveau, et cette lumière permet de réfléchir et de s’interroger, elle ouvre de nouveaux chemins de conscience. Un de ceux-là m’amène à explorer ce labyrinthe de miroirs, avec peut-être la possibilité d’entrevoir par le jeu de la réflexion, une vérité, celle d’un monde perdu que nous ne sommes plus en capacité de voir, et à coup sûr un éveil de mon âme

 

 

Deux totems du Vanuatu, archipel proche de la Nouvelle-Calédonie accueillent ensuite le visiteur à l’entrée de la grande salle blanche (24).
Ces totems sont sculptés dans des fougères arborescentes (cyathea) que l’on trouve en grand nombre sur les différentes îles du Vanuatu, dans les zones très humides, notamment au bord des cours d’eau. Ces sculptures accompagnent les rites parfois secrets et souvent complexes des passages de grade. Les grades correspondent à des statuts auxquels s’attachent certains degrés de pouvoir, de reconnaissance, de connaissance et d’initiation.
Ils sont là pour signifier au visiteur qu’il va changer de monde...

Dès l’entrée et juste sur la droite, une peinture de Vincent Cordebard accompagnée d’un commentaire de Pierre Bongiovanni. Tout commentaire sur une œuvre, quelle qu’elle soit, est un point de vue qui engage davantage l’auteur du commentaire que l’œuvre qui l’aura suscité. Ainsi ici, l’auteur du commentaire se laisse aller à célébrer l’utopie d’une volupté qui naîtrait de l’union parfaite entre deux entités normalement séparées, différentes en tous points mais provisoirement réunies par l’extase.

 

Ensuite, François Petit (25) nous présente ses œuvres les plus récentes et encore toutes fraîches. De son travail il dit : La dimension cachée des images est au cœur de mon travail : notre positionnement par rapport à elles, le «lieu des images» quand nous sommes face aux images qui nous envahissent, l’intime et le public, la sensation pelliculaire de la peinture, telles ont été jusqu’à présent quelques-unes des marques du territoire métaphysique que j’explore. Teintées d’un symbolisme cru ou d’une spiritualité décalée, ces séries usent d’un «zapping» iconique qui se joue, souvent avec dérision, des sensations du «regardeur». Puisant dans les réminiscences et les clins d’œil à l’histoire de l’art mais aussi dans un «face-à-face» avec les images «déviantes» du web, j’y confronte, comme un arrêt sur image, différents types iconiques issues de cultures populaires et/ou médiatisées.  

Et son ami et complice de toujours, Vincent Cordebard, de rajouter : Il existe, dit l’Aeropagyte, deux sortes d’images: les unes sont façonnées à la ressemblance de leur objet, les autres, au contraire, poussent à la fiction jusqu’au comble de l’invraisemblable et de l’absurde. Ces dernières images sont qualifiées de « dissemblables» . C’est l’image dissemblable que l’on doit préférer. Selon Denys, elles élèvent mieux notre esprit que celles que l’on forge à la ressemblance de leur objet. C’est sur ce terrain, au frontière du mal et de l’immoralité, que l’œuvre de François Petit nous conduit depuis toujours. Devant cette nouvelle proposition, il me souvient de «La Madone de Ombres» de Fra Angelico (Couvent de San Marco, Florence) : Les grands rectangles «cosmiques» de François, figures mi-concrètes (les nébuleuses sont empruntées à l’imagerie spatiales), mi-abstraites (elles sont en fausses couleurs) font incontestablement écho aux faux marbres du Fra. Du Fra, François Petit épouse depuis toujours la vie monastique. Il construit patiemment son œuvre dans la solitude et un dénuement souvent cruel. Comme les marbres de San Marco, ses peintures, réalisées à contrario sur les plaques de verre, ne représentent pas vraiment des nébuleuses, mais se présentent à nous, comme de la peinture pure, de la peinture non feinte. Quant à la Madone, la voilà devenue Dame Ève nostalgique, dominatrice ou fumeuse d’opium. François depuis longtemps habite un territoire de l’ombre. Celui du ver de terre convoqué par Denys et que Pachymère dit "naître sans semence d’une vierge".

 

Se retournant pour prendre conscience de l’ampleur de cette ancienne salle de stockage des bottes Le Chameau le visiteur est saisi par la cicatrice rouge qui traverse la salle et qui délivre une grande part de la vérité de cette exposition, avec cette citation de l’immense écrivain et poète Marcel Moreau, disparu en cette année 2020 : pour sauver le langage il faudrait que chaque mot se remît à peser. A peser son poids de sauvage volupté.

Car, en effet, toute guerre contre l’humanité et contre la civilisation commence d’abord par une guerre contre le langage. Appauvrir la langue est une stratégie toujours gagnante des puissants pour asservir les peuples. Une fois que le langage est vidé de sa substance pour que ne demeurent que les impératifs de l’argent il ne reste plus qu’a asservir encore davantage la part féminine du monde et le tour est joué.
Dans cette exposition, le visiteur l’aura déjà compris, cette part féminine n’est pas seulement célébrée. Elle signale que sans elle le monde n’est plus qu’un champ de ruines. La part féminine du monde tient l’ensemble comme les fondations et les piliers tiennent les édifices, en constituent le sens et la raison et soutiennent le ciel.  

S’avançant sur le côté droit le visiteur fera face à la fresque colorée des peintures de Jean-Pierre Sergent (16). Cet artiste peintre franco-new-yorkais, vit et travaille aujourd’hui à Besançon. Son travail est exposé internationalement depuis 1990 aux États-Unis, en Europe et en Chine depuis 2016. Il expose actuellement et jusqu’en janvier 2021, quatre grandes installations murales (de 80 m2 au total) Les quatre Piliers du ciel au Musée des Beaux-Arts de Besançon. Il présente lors de cette nouvelle exposition cette grande installation murale intitulée «Mécaniques cosmiques de la jouissance», composée de vingt-quatre peintures sur Plexiglas carrées des séries «Mayan Diary» et «Suites Entropiques» (2010-2015), formant ainsi un ensemble de 3.15 m de haut sur 8,40 m de long. 

Un petite cellule cubique construite au milieu du second espace situé dans la première salle (la cellule d’Hildegarde von Bingen) y accueille encore trois grandes peintures sur Plexiglas de sa série des Suites Entropiques (2015) avec sur les murs extérieurs de cette cellule dix-sept petites sérigraphies des séries Shakti-Yoni, 2019.
Son travail est fortement imprégné de spiritualité, de forces vitales et d’énergies sexuelles depuis ses années new yorkaises de 1993 à 2003. La sentence de Marcel Moreau vient ici souligner, amplifier et révéler les liens entre langage et voluptés.

Nous présentons d’ailleurs, tous les jours et en continu la conférence filmée «Éros Unlimited» réalisée et produite par Jean-Pierre Sergent en 2020 à l’occasion de son exposition au Musée des Beaux Arts de Besançon.

En voici le sommaire :

- les œuvres non-occidentales ou pré-monothéistes (La reproduction, la continuité génétique (les patterns) / Les Dieux et les Déesse fertiles et sexuées / La poésie, le plaisir, le désir & l’érotisme - shunga japonais),

- Adam & Ève, le péché, L’origine du monde (Adam & Ève, l’exil humain & les mythologies / Ulysse & les sirènes, quelques œuvres érotiques de l’art occidental / L’origine du monde, le retour à la maison),

- quelques œuvres de l’art occidental (Le retour du corps sexué / Les artistes contemporains / Les artistes femmes américaines et l’Art brut).

 

 


Au centre de cette grande salle blanche deux autres sculptures de Gilbert Marcel (10) honorent le pommier d’Alice, sa grand-mère d’Auberive, miracles de simplicité et de légèreté pendant que la sculpture de l’artiste anglais Chris Bell (27) évoque la puissance du petit homme fragile tentant encore de maîtriser la mécanique cosmique. 

Chris Bell est né et a grandi dans le nord de l’Angleterre. Pendant ses études au Manchester College of Art and Design, il a découvert que ce qu’il appréciait le plus était le temps passé en dehors des cours dans l’atelier de sculpture. Après une carrière professionnelle longue et variée, il s’est installé en Haute-Marne en 2010, et ce n’est qu’à ce moment-là qu’il a trouvé le temps et l’espace nécessaires pour revivifier son amour de la sculpture.

 

Franchissant le ruban rouge du sol le visiteur fait alors retour vers le grand collage de Karin Vyncke (13). Karin Vyncke vit et travaille à Bruxelles. Elle est chorégraphe, performeuse, praticienne de shiatsu. Ses collages expriment ses révoltes devant les inégalités, les injustices, les violences. Avec Yoris Van den Houte elle a également conçu et réalisé la grande fresque murale située sur le mur extérieur de la salle de l’Expédition.

Dans le collage de Karin Vyncke, ce que Christian (qui habite Aubepierre-sur-Aube, a vu en premier, ce sont les corps inertes, animaux morts, humains allongés. Ensuite beaucoup beaucoup de fruits. Raisins kiwis poires abricots citrouille ananas tomates oranges prunes myrtilles cassis fraises.
Un fusil dont on ne sait l’usage : chasse à l’homme ou chasse au gibier? La fumée annonce la catastrophe. Tu peux tout avoir. Le raisin procure le vin et le séisme le nuage de fumée.Il regarde l’enfant. Un regard triste. La chèvre là-haut, on dirait qu’elle crie. Famine. Famine. Famine. L’artiste montre un peu le monde. C’est le présent. Cela existe. Nous avons ce qu’il faut alors que d’autres n’ont pas suffisamment. Pourquoi il y a tous ces fruits et tant de gens pas nourris?
On ne peut pas faire grand chose. Le monde est grand et à côté nous sommes une aiguille. Certains c’est l’eau, d’autres les médicaments, il manque toujours quelque chose.
Christian dit : je supporte pas. Ça devrait pas exister, on devrait pas connaitre ça quelque soit le pays. J’ai jamais vécu ça, il y a quelques familles qui sont en difficulté mais pas comme ça.
C’est fort. Rien qu’en parlant, l’émotion est là. LA RAGE.
S'il pouvait, Christian les nourrirait tous. Seul le lapin sur le canapé est comme un roi, repu, il n’a besoin de rien. Cela l’intrigue : il est trop à l’aise, le lapin royal.

 

Se retournant à nouveau, en vis-à-vis du grand collage, de l’autre côté de la salle, un autre paysage suspendu de Christine Delbecq (15). De quoi s’agit-il? Une macroscopie de l’aile d’un papillon? L’infiniment petit d’une structure cristalline? un glacier incendié? Tout cela en même temps. Le visiteur est l’auteur de son regard et de ses interprétations. Ce que nous regardons nous regarde aussi et ce que nous en pensons parle de nous...

 

Ensuite le visiteur peut reprendre son chemin avec la découverte de trois artistes africains, tous décédés, dont les œuvres proviennent de la collection Bernard Sexe.

Bela (21) né à Fort Archambault (Sahr) au Tchad et décédé vers 1968 à Brazzaville en République du Congo.

Pierre Romain Desfossés surprend Bela, son ordonnance, à 2 reprises en pleine création, gravant des sujets dans le bois ou en train de peindre avec ses doigts. Ici Bela choisit de représenter la beauté de la nature à l’état pur. Il jongle avec les couleurs vives et contrastées, sa technique digitale donnant rythme et tension à ses compositions. 

Pilipili Mulongoy (23) né en 1914 à Ngolo (Katanga RDC) et décédé en 2007 à Kinshasa (RDC), fils de pêcheur, représente avec un grand raffinement principalement des scènes animalières avec une grande maitrise des couleurs et des nuances, soignant avec minutie contours et détails. 

Pierre Camille Pambu Bodo (22). Né à Mandu (République Démocratique du Congo) en 1953, décédé en mars 2015. D’abord sculpteur d’objets quotidiens en bois comme son père et musicien, il débute la peinture en 1970 en autodidacte en réalisant des illustrations publicitaires à la demande de guérisseurs féticheurs pratiquant des guérisons rituelles. Sa rencontre avec Bernard Sexe verra la naissance de la période « Bosch » dont l’univers imaginaire complexe et grouillant l’inspire et lui permet d’épanouir son univers onirique et fantasmagorique peuplé d’êtres hybrides empreint de mysticisme chrétien ou traditionnel, devenant le « Jérôme Bosch africain » dans l’imaginaire collectif.

 

Nous quittons ces rivages en saluant le couple des deux personnages du Congo (24) pour découvrir la nouvelle série photographique de Vincent Cordebard (06).
Avec une certaine obstination,Vincent Cordebard (1947, ...) vit encore. Depuis sa grande rétrospective de 2018

(« Scènes de la vie ordinaire », entrepôts Tisza - Chaumont), il a partagé ses forces entre peinture (« Au bord des eaux noires » , « Les jardins statuaires ») et photographie (« /dé-visager »)

En-visager/dé-visager : L’éthique, pour Levinas, est ce qui est en moi, mais ne vient pas de moi. C’est le visage de l’autre qui fait effraction dans mon être et rompt ma tranquillité, interroge mon droit à persévérer dans mon être et à user du monde comme s’il était mien. 

 

Le mur pignon accueille les toutes dernières peintures de Jean Reverdy (18) .
Jean Reverdy se tient ici, debout et tranquille à cet embarcadère où seuls les actes essentiels, même minuscules, ont encore une place. Les personnages qui traversent ses pensées et se posent sur ses toiles nous parlent à la manière dont parlent les animaux et les chasseurs des fresques préhistoriques : dans une langue inconnue et pour manifester des sentiments dont nous ne savons rien. Et statuer sur ce que ces figures seraient censées représenter serait une entreprise totalement dépourvue de sens.

Nous voyons dans ces tracés comme les preuves manifestes qui témoigneront dans le futur, plus que tout autre image, qu‘un jour l’humanité existât sans que nous ne connaissions jamais ce qu’il en fût exactement de cette humanité. Sans doute rien d’autre d’ailleurs qu’une éternelle déambulation chaotique au bord d’un gouffre sans projet.

Après Lascaux (17 000 ans) il faut attendre les Akkadiens (5 000 ans) pour accéder à quelque chose qui ressemble à un récit (l’Épopée de Gilgamesh). Entre les deux périodes un immense corridor d’incertitudes. C’est dans cet entre deux que se situent les visions de Jean Reverdy. Et, bien que depuis 1000 ans l’actualité des jours veuille nous convaincre du contraire, nous ne sommes toujours pas sortis de ce corridor. Les visions de Jean Reverdy sont universelles, intemporelles et étrangères à tout rapprochement avec les actualités récentes. L’écorché-homme qui titube au bord des abîmes est sans âge et sans destination. Juste une trace dans le cosmos. Ce qui est également singulier avec les peintures de Jean Reverdy c’est que le visiteur y voit parfois des scènes macabres, voire même des charniers : lui pourtant, qui commence toutes ses journées par la peinture, respire la joie et la douceur...

Marie-Thérèse une des expertes, habitante du département, s’arrête net devant la peinture de Jean Reverdy. Elle voit une femme qui tient son bébé dans ses bras. La femme le sert fort, très fort. Marie-Thérèse voit la peur. Elle a déjà vu cela. Comme la femme, ce malheur elle l’a déjà un peu connu. Il y a des têtes, des bras, des squelettes dans un grand ciel qui ne protège pas. Des morts-vivants veulent prendre l’enfant. Alors la femme le sert dans ses bras.
Et elle crie. Elle crie par les yeux. Jaune Rouge Bleu Gris. Couleurs primaires pour cri primal. C’est triste et c’est vivant.

Marie-Thérèse dit que c’est un tableau vivant. C’est le titre qu’elle lui donne d’ailleurs. Vivant. Quand je lui demande ce qu’elle ressent à l’intérieur devant ce tableau, elle me répond: ça me socle. ÇA ME SOCLE.
Son coeur a mal. Elle ne pense pas que la femme va s’en sortir. L’enfant oui. Mais ça c’est déjà parler d’avenir.
Marie-Thérèse me regarde de ses grands yeux et semble demander: qu’est-ce que vivre?
Reverdy lui répond: C’est peindre. La peinture pour mieux voir. En chacun de nous.
Et chacun ainsi projète une part de son histoire dans le regard qu'il porte sur les oeuvres.



Immédiatement sur la droite les peintures de Elisabeth Bell (17) témoignent de ses recherches actuelles autour de la manière dont le trait qu’elle pose sur le papier donne naissance à une danse, une chorégraphie, une grâce : celle précisément qui fait de l’œuvre un manifeste de vie et de volupté.

Née en France, elle partage son temps entre le Royaume-Uni où, en plus de son travail artistique, elle a eu l’occasion de travailler dans l’enseignement, le textile, l’illustration, l’édition et ici dans la campagne Haut-Marnaise. 

 

Nous sommes ensuite invité.e.s à quitter cette grande salle blanche avec l’hommage rendu à Matisse par Josette Berthe (19) (qui vit en Haute-Marne et pratique le dessin, la sculpture, la poterie) et le feulement de la panthère

d’Isabelle Tristan-Coudrot (26) qui vit et travaille en Côte d’Or et dont l’essentiel de l’œuvre picturale est consacré à la dénonciation des violences envers le monde animal. Son travail artistique est là pour montrer toutes les merveilles de la Nature que l’homme s’acharne à détruire. Isabelle Tristan-Coudrot célèbre la Beauté authentique qui nous entoure et que la plupart des humains ne prennent plus le temps de contempler ni de respecter, abrutis par la dictature des écrans et de la consommation. Il serait temps dit-elle que nous apprenions à ré-ouvrir nos yeux aux émerveillements.

 

Nous allons maintenant retraverser tout l’espace de la première salle en direction de la porte d’entrée pour reboucler avec les peintures de Esther Wollheim (02) avec lesquelles nous avions commencé la visite, car là encore deux nouvelles surprises nous attendent.

 

Tout d’abord sur les vitres extérieures de la petite salle blanche à coté de l’accueil Marie Delaite présente le travail effectué dans les derniers jours du mois de juillet avec quelques visiteurs «experts».
Marie Delaite, auteure, inspirée par les situations de conversations entre les arts, les oeuvres et les individus, s’est attachée à donner vie aux émotions ressenties et partagées par des adolescents, des femmes et des hommes, comme vous et moi, c’est-à-dire généralement considéré.e.s comme non experts des «choses de l’art».

Par là, nous tentons, avec elle de relier ce qui est séparé, en montrant l’aptitude et la légitimité de chacun d’entre nous à formuler avec ses propres mots, ses propres expressions sa surprise, son émotion, son adhésion aux œuvres exposées.
Ainsi, de cette conversation entre une auteure et un visiteur face à une œuvre naît un espace nouveau de compréhension de ce qu’une œuvre peut éventuellement signifier ou générer chez chacun d’entre nous. Ainsi nous tentons de renouveler ce qu’il est possible d’espérer de la rencontre entre l’individu et l’œuvre en refusant de statuer sur ce qu’il serait légitime de penser ou de ressentir pour rechercher un espace de conversation universel, moins adossé seulement à des connaissances académiques mais prenant en compte les « compétences», c’est-à-dire les expériences de vie de chacune et de chacun.

 

Et puis pour finir la visite, à l’intérieur de cette petite salle blanche nous avons, dans les toutes dernières heures avant l’ouverture de l’exposition, voulu évoquer de la manière la plus fraternelle possible la fragilité des destins de celles et ceux dont la vie est une errance perpétuelle pour tenter de fuir des zones de guerre ou de grande pauvreté pour rejoindre au péril de leurs vie d’autres continents et d’autres pays où personne ne les espère ni les attend.

Vouloir célébrer les voluptés n’implique pas que nous soyons aveugles, sourds et muets devant les calamités du monde. Au contraire, c’est bien nos consciences et nos valeurs qui peut-être pourraient nous permettre de faire de tous nos espaces des occasions de partages voluptueux.
Nous avons tant à apprendre et à donner...

 

L’équipe des Voluptés.

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