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Gilbert Marcel
Les prophéties
Gilbert Marcel
Les prophéties
David Francisque
Le courage
Ma mère a élevé cinq garçons. Elle n’était pas toute seule mais quasi. Même aujourd’hui elle nous « élève » : on l’appelle quasiment tous les jours pour lui demander des conseils et elle nous répond toujours. Elle fait tout ce qu’elle peut - indirectement, étant aux Antilles - pour nous rendre heureux, encore aujourd’hui.
Être noir
Souvent, on connaît l’Histoire de France. On a un peu connu l’esclavage, c’est un peu expliqué. Mais, après avoir rencontré des personnes blanches, on se pose la question : « pourquoi les Blancs ? Pourquoi les Noirs ? ». Dès l’enfance, on commence à se poser cette question. L’intérêt de savoir ce que ça représente d’être noir est venu quand j’ai eu mes enfants. Pouvoir leur expliquer s’ils me posent la question : « pourquoi je suis noir ? qu’est-ce que ça représente ? qu’est-ce que ça représente vraiment ? ». C’est le genre de réflexion que je mène. Au début, ils ont demandé : « pourquoi on est noirs ? Pourquoi on est blancs ? » Je leur ai répondu : « c’est comme ça, ça s’arrête là. » Ils m’ont dit « ok », puis « c’est très bien ».
Il y a quelque chose qui m’a un peu marqué. J’ai eu un différend avec quelqu’un quand j’étais à la cité U. Je me souviens, à chaque fois que je le voyais il me répétait un mot, il me disait « Y a bon ». « Y a bon », à chaque fois … Et moi je répondais « ok ». Un jour, je ne sais plus pourquoi, j’ai entendu ce mot, à la télé ou sur YouTube peut-être. Et ça m’est revenu ce truc du « Y a bon », parce que je ne connaissais pas. Je ne connaissais pas. J’ai cherché et j’ai compris. Lui, il pensait que moi j’étais africain. Quand il me disait « Y a bon », moi je pensais que c’était lui qui parlait comme ça. Il pensait, lui, s’adresser à moi d’une façon discriminante. Moi, je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire. Ça m’a un peu marqué, mais c’était plus marrant qu’autre chose.
C’est marrant que pour les gens la couleur de peau veuille dire quelque chose. Ça veut dire qu’on vient de tel ou tel endroit. Ça ne veut strictement rien dire. Ayant vécu en Guadeloupe et étant venu ici pour faire un peu le tour, j’ai visité quelques pays aux alentours. On est allés une fois en Espagne, à Barcelone. C’est une ville magnifique et c’est la première fois de ma vie que je me suis dit : « c’est impossible de reconnaître quelqu’un qui est né ici ou qui ne l’est pas. » Ils parlent tous espagnol. Ils parlent tous de la même façon et ils sont tous d’une couleur différente. Tous. Ça c’est marrant.
J’ai regardé une vidéo sur YouTube récemment où ils parlaient de M. Aimé Césaire qui a parlé de la négritude. Ça m’a beaucoup interpellé. Si je devais lire quelque chose ce serait ça. La différence entre « le nègre » comme il peut être compris et « le Nègre » comme l’explique Aimé Césaire, avec fierté.
Être positif
Beaucoup est relatif à ma femme. Ça a toujours été un peu comme ça. Depuis que je la connais je vois plutôt la vie du bon côté. Je ne vois pas trop d’intérêt à me pencher sur le négatif. Le négatif c’est simplement une façon d’aller vers le positif. C’est tout. Il peut y avoir des hauts, des bas, mais l’idée c’est de toujours être bien.
Le regret
Ce n’est pas un regret, enfin … si quand même … le fait de partir de la Guadeloupe, ça éloigne un peu des gens. La famille est un peu plus dispersée. On a plus de mal à se retrouver. Ça, c’est mon plus grand regret. Quand j’étais ado, quand j’étais encore en Guadeloupe, jusqu’à mes dix-huit ans, on était tout le temps en famille. Aujourd’hui, c’est beaucoup moins le cas. Les distances sont beaucoup plus longues. Tout le monde a un travail qui est très prenant. Il y a plein de choses à faire et on ne se voit vraiment pas assez souvent. Ça, ce n’est pas drôle.
L’amour
Quand on s’est rencontrés, on était étudiants tous les deux, à Strasbourg. On s’est rencontrés par le biais d’amis communs. C’est pas une histoire qui a démarré tout de suite. Mais dès que ça a commencé c’était un peu particulier, j’ai senti qu’il y avait quelque chose. Je ne l’ai pas forcément exprimé puisqu’on était jeunes, j’étais un homme, en plus antillais. On s’est vus, fréquentés. On a presque habité ensemble. Chacun avait son appartement mais on était chacun l’un chez l’autre.
Et puis, est arrivé le moment où la vie commençait vraiment, où il a fallu faire des choix, des choix travaillés. Un jour, elle m’a annoncé qu’elle allait partir à Poitiers parce qu’elle avait trouvé un travail. Elle m’a donc demandé si ça me dirait d’aller à Poitiers. C’était la première fois de ma vie qu’une femme me demandait si je voulais bien passer du temps avec elle mais ailleurs et construire quelque chose. Je lui ai dit oui. J’ai terminé mes études et je l’ai rejointe à Poitiers. Je suis arrivé on a discuté, on a pris notre appart, on s’est installés. Ce qui est marrant c’est qu’un jour, en discutant, elle m’a dit : « je ne savais pas si tu allais me rejoindre. » Je lui ai demandé : « pourquoi ? », elle m’a dit « on sait jamais », je lui ai répondu : « si, moi je sais ». Je ne sais pas si ça l’a marquée, mais moi ça m’a beaucoup marqué.
Il y a des choses comme ça qui ne sont pas faciles à exprimer. Quand je l’ai rencontrée, malgré ma réserve et mon attitude d’homme fort, j’ai senti qu’il y avait quelque chose. Quelque chose d’un peu particulier. On s’est aidé, un peu, chacun l’un l’autre, à grandir. J’ai abordé le fait qu’elle m’a ouvert, quand je dis ouvert, c’est vraiment ouvert. Je ne vais pas naturellement dans les musées. Elle m’a emmené dans un musée une fois, j’ai trouvé ça formidable. Elle m’a emmené faire des voyages dans d’autres villes, j’ai trouvé ça formidable. Je me suis dit, malgré le fait que j’avais connu d’autres filles avant elle, que jamais aucune autre personne n’avait réussi à me faire m’intéresser à quoi que ce soit. A part elle.
Et puis la vie a continué. On a voyagé, on s’est retrouvés ici. On a eu deux enfants. Chaque jour, je me dis que c’est impossible de trouver quelqu’un qui puisse correspondre autant à ce que j’ai recherché. Elle est particulièrement intelligente, magnifique aussi. Ce qui est vraiment bien c’est qu’elle rigole à toutes les bêtises que je peux faire. Je suis particulièrement taquin, surtout avec elle. Je suis particulièrement embêtant avec elle. Dès qu’elle rentre, tous les jours, je lui raconte une histoire, une connerie différente. Ça l’a fait marrer, encore aujourd’hui. C’est pas facile de vivre avec moi, je le sais. J’ai un humour un peu particulier, un caractère un peu particulier. Elle, ça ne la gêne pas.
Tous les jours, quand je la regarde, je me dis … Quand elle me regarde surtout… Elle a une vraie gentillesse, quand je dis une « gentillesse », ce n’est pas quelqu’un de gentil, c’est qu’elle ne me veut aucun mal. Elle ne veut aucun mal aux personnes qui l’entourent et ça se voit, juste en la regardant. On a passé beaucoup, beaucoup, beaucoup de moments, de temps ensemble étant jeunes. C’est pas forcément ça qui a construit ce qu’on est aujourd’hui. C’est plutôt les échanges qu’on a eu ; les voyages qu’on a pu faire ; les discussions qu’on a eu autour de tout et de n’importe quel sujet. Ça … c’est quelque chose de magnifique. Je lui dis tout le temps que c’est la seule femme que je pourrais écouter tout le temps puisque dès qu’elle me raconte un truc c’est plutôt intelligent. J’aime bien l’écouter, j’aime bien la regarder.
La transmission
Un plat et une petite boisson. Le plat pour partager avec les gens et la boisson pour accueillir les gens. On accueille et on partage. C’est juste ça. Comme ça, ils pourront dire : « c’est papa qui m’a expliqué ».
L’avenir
Être à l’écoute des enfants, c’est pour moi ce qui est le plus important, en les éduquant. Je crois beaucoup en l’éducation, vraiment beaucoup : les connaissances, la lecture, faire découvrir d’autres cultures et ne pas simplement les laisser ici en France. Leur faire connaître plein de choses et comprendre que tout a une raison en fait. Il y a une raison derrière chaque chose. On va leur laisser ce qu’on peut mais chacun aura essayé. Moi, en les éduquant correctement, j’essaierai de leur transmettre le fait que, avec un peu d’éducation, un peu d’envie, même si des choses ont été faites avant ce n’est pas pour ça qu’elles resteront comme ça dans le futur. Aujourd’hui, chacun est capable de faire changer quelque chose. Pour ça il faut un peu de tout : de la culture, de l’éducation, des gens, de la famille.
Une chanson
Je leur ai beaucoup chanté des chansons créoles, pour les habituer à entendre ma voix comme ça.
C’est une chanson de carnaval qui s’appelle : « la riz abîme ».
Il chante.